La petite mission de prospection que nous avions effectuée sur quelques jours en 2015 dans la vallée de Saghil (Aïmag de Uvs – Sum de Saghil) avait permis d’engager la réflexion sur la suite que nous comptions donner au quadriennal 2014-2017. Dans la continuité des travaux que nous menions dans la partie nord du Sum de Nogoonnuur (Aïmag de Bayan Olgii) sur les sites de la première moitié du Ier millénaire de notre ère, il apparaissait extrêmement intéressant d’étendre nos recherches à d’autres zones et notamment celles qui avaient été peu prospectées et très peu fouillées et qui permettaient d’envisager la fouille de sites assurant au mieux la transition avec le quadriennal suivant. Ainsi, à Saghil, plusieurs structures de la période Türk avaient été repérées et sans doute parmi elles, des tombes (ainsi que de nombreuses autres structures de types inconnues). Le projet de cette année se proposait ainsi de compléter les travaux sur cette période et d’envisager à l’issue de cette ultime mission une synthèse pertinente sur la période. Mais la particularité de ces vestiges est qu’ils sont associés dans cette zone à des ensembles plus anciens de l’âge du Fer (culture de Sagli) qui demeurent mal analysés. Étant donné la complexité attendue de ces sépultures et la nécessité qu’il y avait de fouiller dans de bonnes conditions les tombes, nous avons décidé de concentrer notre attention dès le début de la fouille sur cette période, renvoyant aux travaux futurs, ceux que nous prévoyons de mener dans les années à venir sur cette vallée, la fouille des tombes Türk et des périodes plus récentes.
La culture de Saghil (ou Sagil, ou Sagli, ou Sagly, ou Uyuk-Sagly selon que l’on se trouve du côté Russe ou Mongol et selon les auteurs) livre des tombes dont certaines ont été fouillées en Tuva, d’abord dans les années 1950 (par les équipes russes de Saint Petersbourg) puis un peu par les archéologues de Touva dans les années 1970. Des ensembles contemporains, mais mal documentés, ont aussi été fouillés il y a quelques dizaines d’années dans cette zone par M. Tseveendorj (Novgorodova 1971). Les tombes de la culture de Sagly sont calées au Ve-IIIe siècle BC et datées entre elles par chronologie flottante basée sur la dendrochronologie mais il reste un gros travail pour dater les tombes de ces époques. Il apparaît que le matériel archéologique de la période scythe en Touva peut être réparti sur trois époques (Bokovenko, 1995) :
– Première époque : période d’Arzhan (VIIIe-VIIe BC (chronologie de Gryaznov et Grach) – ou IXe-VIIe BC (Gryaznov, 1983)
– Epoque ancienne, VIIe-VIe BC (Aldy-Bel’culture)
– Epoque récente, Ve-IIIe BC (Sagly culture)
Nos travaux concernent donc a priori cette dernière époque. Les structures funéraires y sont de deux types : des sépultures simples livrant des corps déposés sur le côté, en position fléchie, parfois sur un lit de dalle. Et des sépultures plurielles se caractérisant, elles, par des tumulus inscrits dans des enclos ronds ou carrés, dans lesquels sont aménagées des entrées. À chaque coin de ces enclos sont dressées des pierres. On peut y retrouver jusqu’à 15 individus (les enfants étant décrits comme regroupés aux pieds des adultes) et elles sont creusées profondément (entre 3 et 5 m).
Les corps sont déposés en rangées parallèles sur le côté gauche avec la tête reposant sur une pierre plate et les jambes repliées. Une chambre funéraire en bois, de construction complexe, est la plupart du temps présente. La littérature archéologique fait mention de la présence de crânes de chevaux associés à ces tombes ainsi que des éléments de harnachement. Une indication distinctive importante de cette étape tardive de cette culture est le nombre accru d’artefacts en fer. Cela atteste de la maîtrise de ce nouveau matériau. La forme des artefacts en fer imite souvent ceux en bronze y compris dans leurs détails. Les pointes de flèche continuent, comme à l’époque précédente, à être coulées en bronze et sculptées à partir d’os. Une autre innovation de l’époque est l’apparition dans les tombes de vaisselle en argile de différentes formes. Les contenants étaient également faits de bois et d’écorce de bouleau.
Mettre en place un programme sur cette zone permettait donc de compléter grandement notre connaissance des cultures postérieures aux phases tardives de la période scythe ancienne (Arzhan 2) et de le faire en prenant en compte les sites du côté mongol de la frontière.
Ce projet permet en outre de mettre en œuvre les compétences de notre équipe au service de ces périodes si peu abordées en Mongolie et de continuer au renouvellement du questionnement concernant l’occupation de ces territoires à l’âge du Fer, notamment en proposant une problématique liée à une culture en contact avec les sakas aux marges orientales de l’Altaï.
Le programme de fouille avait donc comme objectif de :
– Décrire et comprendre l’architecture des tombes.
– Comprendre l’organisation des corps dans les sépultures. Déterminer s’il s’agit de sépultures collectives (un dépôt simultané) ou multiples (des dépôts successifs).
– Mettre en évidence les modalités de réouverture des structures en cas de sépultures multiples.
– Décrire les gestes funéraires, incluant le dépôt d’offrandes alimentaires, la description archéo-tanatologique, entomoarchéologie, etc
– Définir les causes de la mort.
– Comprendre l’attribution des objets aux différents défunts.
– Caractériser l’existence ou l’absence de liens familiaux entre les individus, entre les tombes (analyses ADN).
– Mettre en place une chronologie précise basée sur l’analyse des cernes des rondins de mélèze.
– Proposer des hypothèses concernant la saisonnalité des dépôts (analyses isotopiques, cémentochronologie).
– Contribuer à la connaissance de cette culture par la contextualisation des artefacts mis au jour (armes, poignards, objets, parure…) et son expression à ses limites sud d’extension, connues à ce jour.
Déroulement de la mission
La mission de fouille de cette année a eu lieu du 8 août au 8 septembre 2017. L’équipe était composée de 23 personnes : S. Lepetz (responsable de la mission, HDR, DR, CNRS), V. Bernard (CR CNRS, archéologue, dendrologue), D. Joly (Archéologue, Dir. du Service archéologique de Chartres), Mathilde Cervel, Doctorante EPHE en anthropologie, section Histoire, Texte et Document, Laboratoire AOROC, UMR 8546 CNRS-ENS), Sacha Kacki Post-Doc Univ. Durham (Anthropologie), Isaline Saunier, Doctorante EPHE (spécialiste des textiles), de quatre étudiants français : Morgane Heurtebis (Master Pro, Université de Nantes), Pauline Jaccard (Master 2 Anthropologie Biologique, Université de Bordeaux), Thomas Terracol (Master Université Aix-en-Provence et Aude Tsuvaltsidis (Master – Université Paris IV-Panthéon – Sorbonne). L’équipe mongole était composée de Ts. Turbat (Chef du département de l’âge du Bronze du Département d’histoire et d’archéologie de l’Académie des Sciences de Oulan Bator), de B. Noost (Archéologue, Institut d’histoire et d’archéologie), de 8 fouilleurs mongols (dont plusieurs sont des étudiants en archéologie à l’Université d’Oulan Bator), 2 cuisinières et du chauffeur du fourgon.
L’apport du travail des quatre étudiants français a été primordial puisqu’il a permis de renforcer l’équipe de fouille et favoriser une meilleure collaboration entre les partenaires français et mongols. Une formation aux méthodes de l’archéologie (anthropologie de terrain, méthodes de datation, etc) a en outre été dispensée. Les étudiants mongols ont bien entendu aussi profité de cet encadrement.
Il faut enfin signaler la visite de Madame l’Ambassadrice de France en Mongolie, Madame E. Barsacq, et de son époux qui nous ont fait la joie d’être des nôtres pendant trois jours sur le terrain.
Nous les remercions pour l’aide qu’ils nous ont apportée lors des prospections près de la frontière et concernant les restitutions archéo-patissières lors de notre passage à l’Ambassade.
Le site de Saghil
Le site est installé dans la vallée de Saghil (ou vallée de Sagly dans le Sum de Sagil de l’Aimag de Uvs, dont la capitale est UlaanGom), à moins de 100 km au sud d’un des affluents de l’Ienissei, et à 230 km au sud-ouest de Arzhan. ). Il s’agit d’une large vallée dont le cours d’eau joue le rôle de frontière entre la République de Tuva et la Mongolie. Le site est positionné sur une terrasse de 1500 mètres d’altitude au pied du massif de Tsagaan Shuvuut (en territoire mongol dont l’altitude avoisine 3000m). La zone est, au nord, séparée des vallées touvaines par le massif montagneux de Tannu-Ola, dont les sommets culminent à 2900 m mais qui sont généralement peu élevés (entre 1500 et 2000 m d’altitude). Cette vallée est la plus occidentale du bassin de drainage du grand lac Uvs, le plus grand lac de Mongolie, vers lequel elle s’ouvre naturellement
Cette situation géographique (la zone frontalière et le fait que l’on se situe en piémont d’un massif séparant la Mongolie de la République de Tuva) explique la raison pour laquelle la zone n’a été que peu prospectée.
La fouille s’est portée sur une zone isolée au nord d’Oulangom à quelques centaines de mètres de la frontière avec la République de Tuva, en zone militarisée. Elle a concerné une série de tombe de le l’âge du Fer
Le climat rencontré pendant la fouille a été très divers, variant de périodes tempérées à froides (0° C), généralement sèches, mis à part lors des très forts orages et des très forts coups de vent qui ont émaillé la mission. Cette situation climatique est due à l’air humidifié du lac, surchauffé au niveau de sa surface, qui monte puis se condense sur les versants des montagnes septentrionales du Tannu-Ola.
La vallée est d’une très grande richesse archéologique. Plusieurs centaines de structures, parfois très complexes, Kerigsurs, monuments de toutes époques, ont été repérées lors de cette mission. Parmi elle, un ensemble de tombes a attiré notre attention. Il s’agit d’un alignement d’une vingtaine de structures, globalement orientées Nord-Sud et s’étendant sur 250 mètres de long. La fouille a montré qu’il s’agissait de tombes. Certaines sont des tombes individuelles et alternent avec de plus grandes qui contiennent plusieurs corps. Ces dernières se présentent sous la forme d’un large enclos funéraire livrant deux amples fosses dans lesquelles ont été mis au jour plusieurs dizaines d’individus et de nombreux objets en bronze, en fer et en or (structures 9 et 10), une autre structure (st. 2) présentant une chambre funéraire en rondins de mélèze excellemment bien conservés mais ne livrant qu’un squelette, de quatre sépultures individuelles (st. 6, 11, 12, 13) et d’une dernière fosse qui n’a livré aucun vestige (st. 14).